Contes : L’eau de la compassion
Il était une fois un certain Shaikh à qui un de ses compagnons demanda de parler de la compassion. Le Shaikh resta silencieux pendant un certain temps, puis il dit : “Pendant quarante ans, j’ai offert mes prières et mes méditations à l’Unique. Au début, je ne faisais que me rendre sourd avec le son de ma propre voix. Je hurlais comme un chacal dans le désert, avec autant d’effet que le chacal en a sur les étoiles. Mais j’ai senti qu’il devait y avoir une raison a ces dévotions, alors j’ai persisté. Puis, peu à peu, il y a eu un changement, et finalement un jour, j’ai été profondément ému, car un message m’est venu de l’intérieur, me disant que mes prières avaient été acceptées. Pouvez-vous imaginer mon étonnement ? Après de nombreuses années d’appel, il y a eu une réponse ! Comme si les étoiles avaient enfin parlé au chacal. À partir de ce moment, il y a eu une communication régulière de l’Invisible, et j’ai ressenti une profonde gratitude pour cette étreinte compatissante. Bien que je ne les ait pas cherchés, des étudiants ont commencé à apparaître, et comme mes dévotions avaient été favorisées par un signe venu d’en haut, j’ai ressenti le devoir de partager avec eux ce que j’avais trouvé”.
“Je vois”, dit son compagnon. “Comme le Créateur avait satisfait ta soif, tu as partagé avec eux l’eau de la compassion.”
“Non”, dit le Shaikh, et des larmes commencèrent à couler sur ses joues. “C’est ce que je pensais, mais le conte n’est pas encore terminé. Peut-être avez-vous entendu cette histoire. Un bédouin errant dans le désert est tombé sur une petite oasis qu’il n’avait jamais vue auparavant, et quand l’eau de cette minuscule piscine a humidifié sa langue desséchée, elle lui a semblé douce et délicieuse. Il se dit : “Ce trésor doit être apporté au sultan ! Alors, il remplit une gourde d’eau et se rendit à la cite royale.
“Lorsqu’il présenta son offrande, le sultan la trouva boueuse et très salée – à peine potable, en fait – mais il comprit aussi que pour le bédouin du désert, elle était précieuse. Il demanda donc à ses ministres de lui donner une bourse d’or et de le nommer gardien à vie de cette oasis. Il leurs demanda également de faire très attention, en quittant la cour, à ce qu’il ne voit pas le vaste fleuve qui coule à côté du palais”.
Le compagnon fit un signe de tête. “Et comment dois-je interpréter ce conte ?”
“De cette façon”, continua le Shaikh. “Au fil du temps, de plus en plus d’étudiants sont venus, me posant des questions comme vous l’avez fait, sur les mystères divins, et je leur ai donné ce que j’ai pu à partir de ce que j’avais découvert. Puis, un jour, je me suis agenouillé de la manière habituelle devant le trône et j’ai offert ma dévotion, quelque chose d’inattendu s’est produit. Je me suis élevé dans un royaume que je n’avais jamais connu, ni même soupçonné auparavant, et je fus emmené voir le fleuve.
“Et à cet instant, j’ai connu la profondeur de ma pauvreté. Toutes mes prières n’étaient rien d’autre qu’une peau rance pleine d’eau salée au bord du vaste fleuve de Sa générosité.
“Et ce fut à cet instant que j’ai enfin su quelque chose sur la compassion.”
Traduit par Taviz Emily Lopez